9 novembre 2015 |Alexandre Shields | Actualités sur l’environnement
Le secteur agricole sera de plus en plus affecté par les changements climatiques, qui entraîneront dans leur sillage toute une série d’impacts négatifs significatifs.
Les bouleversements climatiques qui frappent de plus en plus la planète risquent d’accélérer l’accaparement de terres agricoles québécoises, de plus en plus convoitées en raison de l’accroissement des possibilités de production alimentaire. C’est ce que conclut une étude de la Fondation David Suzuki qui sera publiée lundi et dont Le Devoir a obtenu copie. Une situation qui menacerait le secteur agricole de la province, mais aussi notre sécurité alimentaire.
« Sous l’effet des changements climatiques, de plus en plus d’investisseurs pourraient être amenés à tourner leur regard vers les terres agricoles québécoises, qui devraient profiter d’un avantage concurrentiel par rapport aux terres agricoles des pays plus au sud », soutient le rapport intitulé « Climat d’accaparement ».
L’analyse menée par la Fondation David Suzuki souligne en fait que le secteur agricole sera de plus en plus affecté par les changements climatiques, qui entraîneront dans leur sillage toute une série d’impacts négatifs significatifs. Citant le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), le document rappelle que « les changements climatiques, les carences en eau douce, la dégradation des terres agricoles et d’autres formes d’impacts sur l’environnement pourraient mener à une diminution moyenne de 25 % de la production agricole mondiale d’ici le milieu du siècle. On anticipe également une chute des rendements agricoles et une hausse considérable des prix des produits alimentaires de base ».
Or, au cours des prochaines décennies, la population mondiale devrait dépasser les neuf milliards de personnes, ce qui signifie qu’il faudra augmenter la production alimentaire mondiale d’au moins 50 % d’ici 2050. Pour y parvenir, le secteur agricole mondial devra produire davantage dans un contexte de moins en moins favorable.
Conditions favorables au Québec
Une telle situation devrait attiser la convoitise pour les terres agricoles du Québec, selon l’étude de la Fondation David Suzuki. Selon les résultats d’une analyse du consortium Ouranos, la hausse des températures au Québec pourrait bien réduire l’enneigement, diminuer la saison de gel et allonger la saison de culture. De nouvelles variétés de cultures pourraient voir le jour, les rendements devraient augmenter et de nouvelles régions pourront être propices à l’agriculture. Selon Ouranos, il apparaît de plus en plus évident que « les changements climatiques seront à l’origine de nouvelles possibilités pour la production agricole au Québec ».
Dans ce contexte, Karel Mayrand, directeur pour le Québec de la Fondation David Suzuki, redoute l’accaparement des terres cultivables de la province. « Les terres agricoles du Québec sont une ressource stratégique qui fera l’objet d’une convoitise accrue au cours des prochaines décennies, au même titre que l’eau douce. Que ce soit au profit d’intérêts financiers québécois ou étrangers, il existe un risque réel que le Québec voie son agriculture lui échapper, mettant du même coup à risque sa sécurité alimentaire. »
Comme le reconnaissait déjà en 2010 une étude du Mouvement Desjardins, les terres agricoles deviennent une « valeur refuge » de plus en plus attrayante pour les investisseurs. Ceux-ci peuvent alors « spéculer » sur la croissance de leur valeur sur le marché, ou encore s’assurer un accès à une zone propice à la production alimentaire.
Mais une telle situation aura des « impacts négatifs » au Québec, selon l’étude menée par le groupe environnemental. « Le phénomène d’accaparement des terres se constate par ses impacts négatifs sur la société. En s’inscrivant dans une logique spéculative, une telle pratique s’éloigne ainsi du modèle agricole familial et de l’agriculture de métier telle qu’elle se présente au Québec depuis des décennies. »
« Comme c’est déjà le cas à l’échelle mondiale, l’accélération du phénomène d’accaparement à moyen et long terme pourrait menacer de façon importante la souveraineté alimentaire au Québec, peut-on également lire dans cette étude. Cette situation pourrait s’observer par un passage progressif des terres des mains des agriculteurs aux mains de non-agriculteurs, dont les finalités sont essentiellement spéculatives. »
Manque de données
Le document souligne toutefois que les données manquent pour évaluer à l’heure actuelle le phénomène d’accaparement au Québec. Le ministère de l’Agriculture devrait éventuellement se doter d’une base de données complète et uniformisée visant à suivre l’évolution du marché foncier agricole québécois.
« À la lumière des informations dont nous disposons dans le cadre de cette étude, il nous apparaît toutefois extrêmement probable que le phénomène d’accaparement des terres agricoles soit déjà bien entamé au Québec et qu’il soit amené à se poursuivre de façon tout aussi inquiétante dans les années à venir sans la mise en place de mesures de contrôle plus contraignantes par le gouvernement du Québec. »
L’étude fait ainsi état de l’arrivée, au cours des dernières années, de nouveaux acquéreurs de terres agricoles ne provenant pas de ce secteur, mais aussi « un début de concentration de terres agricoles entre les mains de quelques grands investisseurs ». Ce phénomène coïncide avec une hausse de la valeur des terres au Québec.
Pour contrer cette « menace » financière, la Fondation David Suzuki recommande au gouvernement de mettre en place des mesures qui favoriseraient l’achat des terres disponibles par des agriculteurs exploitants. On suggère aussi la création d’une société d’aménagement et de développement agricole qui pourrait acquérir, administrer temporairement et transférer des actifs agricoles, suivant le principe de la « préférence agriculteurs ».